« Tu ne sais pas construire; tes livres sont comme des tableaux sans cadre ».

François Arago à propos d’Alexander von Humboldt.

Dessin de Humboldt. Gravure de Desnoyers.

HUMBOLDT Alexander von (1769-1859).

Dessin, représentant la « Mochnataja sopka » (Petite montagne Mochnataja), dédicacé à Alexandre Brongniart (1770 - 1847) par Humboldt.

Dessin sur papier fort (support cartonné), monté sous une gravure représentant Alexander von Humboldt, sous passe-partout de couleur beige

Russie, Altaï, daté 1829

Légendes au crayon sous le dessin, de la main d’Alexander von Humboldt, à gauche : « A son ancien ami et confrère M. Alexandre Brongniart » et à droite : « Montagne granitique avec des épanchements latéraux dans la steppe près Bucqhtarminscq (fond de l’Altai) dessiné par Al. Humboldt. 1829 ». Dimensions du dessin : 160 × 115 mm.

English abstract

[RUSSIA]. [SIBERIA]. HUMBOLDT Alexander von (1769-1859).
Drawing, depicting the « Mochnataja sopka » (Small Mountain “Mochnataja”), dedicated to Alexandre Brongniart (1770 - 1847) by Alexander von Humboldt.


1. Drawing, sketch on paper, pasted on a cardboard
base, mated below an engraving (Portrait of Alexander von Humboldt).
Russia, Altaï, daté 1829
Dimensions of the sketch: 160 × 115 mm.
Inscription in light ink below the sketch, in the hand of Alexander von Humboldt, that reads to the left: « A son ancien ami et confrère M. Alexandre Brongniart » and to the right: « Montagne granitique avec des épanchements latéraux dans la steppe près  Bucqhtarminscq (fond de l’Altai) dessiné par Al. Humboldt. 1829 ».


2. Engraving (etching), early state before the final print (without the background and lettering)
Portrait of Alexander von Humboldt, aged circa 35 years old

Dimensions of the print: 160 × 195 mm.
Inscription in pencil below the etching: « Gravé à l’eau forte par Desnoyers d’après un croquis de Gérard. Epreuve non terminée ».


In March 1829, the polymath and man of genius Alexander von Humboldt travelled to Russia with Gustav Rose. The expedition was funded by the Tsar, and the primary mission was to study the gold mines of the Ural and mines of Siberia. Humboldt headed this scientific expedition and was especially interested in pursuing his study of volcanism and terrestrial magnetism. In this context, Humboldt developed an interest in the small mountain “Mochnataja” in the Altaï, emblematic of his theories in these fields. Russia, Ural and the mountains of Altaï were the last regions to be explored by Humboldt, aged 60 in 1829.


The sketch was fittingly offered to Alexandre Brongniart, geologist and mineralogist. Mounted later beneath a rare first state of an engraved portrait of Humboldt by Desnoyers: this engraving was based on a drawing of the man of science by Gérard, who knew
Humboldt during his young years in Paris.

Alex­an­dre von Hum­boldt demeure à ce jour un des hommes les plus célèbres de son temps. Sav­ant plur­idiscip­lin­aire, adepte des idées nou­velles, il fait preuve d’une con­cep­tion encyc­lopédique du monde. Baptisé « deux­ième » ou « mod­erne Colomb », Hum­boldt fut un infatig­able et cour­ageux voy­ageur en Amazonie (avec Aimé de Bon­pland, chirur­gi­en et nat­ur­al­iste), en Alle­magne, en Italie, en Russie et en Sibérie. Ce dessin fut réal­isé lors de son derni­er voyage.

La petite montagne « Moch­nataja » se trouve située près de Buchtarm­insk, dans le sud de la Sibérie : elle fait partie de l’Altaï, prin­cip­ale chaîne de montagnes où prennent nais­sance les cours d’eau de la région, l’Ob et l’Irtych.

En 1827, le min­istre des fin­ances russe demande au nat­ur­al­iste, géo­graphe et explor­at­eur Alex­an­der von Hum­boldt son avis sur l’émission de pièces frap­pées en plat­ine. Le cours du plat­ine étant instable, Hum­boldt émet un avis défa­vor­able et sug­gère d’aller étud­i­er les mines d’or de l’Oural, et en mars 1829, il se rend en Russie aux frais de l’empereur, avec Gust­av Rose (1798−1873) pro­fes­seur de chi­mie et de minéra­lo­gie, C. G. Ehren­berg zoolo­giste, et un domest­ique. Offi­ci­elle­ment, Hum­boldt prend la tête d’une expédi­tion sci­en­ti­fique dans l’Oural et l’Altaï, afin d’y étud­i­er le mag­nét­isme ter­restre et la géo­lo­gie. Offi­cieuse­ment, on recher­che les gise­ments auri­fères. En Russie, Hum­boldt est accueilli comme une import­ante per­son­nal­ité offi­ci­elle et part­age ses repas avec la famille du tsar. Au départ de Moscou, l’expédition s’est agran­die de respons­ables de l’industrie min­ière, et de bur­eau­crates des autor­ités loc­ales. Hum­boldt passe un mois à étud­i­er les mines de l’Oural. Grâce à la présence de filons de plat­ine et de sables auri­fères, il prédit la présence de diamants. Hum­boldt et Rose ana­lysent au micro­scope chaque gise­ment d’or qu’ils ren­contrent. C’est le comte Polier, pro­priétaire de gise­ments ana­logues, et à qui Hum­boldt avait fait part de sa théor­ie, qui trouvera le premi­er diamant de l’Oural.

L’expédition tra­verse la Sibérie jusqu’aux montagnes de l’Altaï et comme à son habitude, Hum­boldt fait des mesur­es barométriques. Après avoir par­couru près de dix-neuf mille kilo­mètres, le sav­ant et ses com­pagnons, sont de retour après six mois d’expédition, lors de laquelle Hum­boldt a mis en place un réseau de sta­tions mag­nétiques et météoro­lo­giques, fais­ant l’objet d’observations et relevés réguli­ers. Il laisse le soin à Rose et Ehren­berg de pub­li­er les résultats de l’expédition en 1837. Ce n’est qu’en 1843 que Hum­boldt fera paraître son Asie Cent­rale. Recher­ches sur les chaînes de montagnes et la cli­ma­to­lo­gie com­parée (Par­is, 3 vol.).

Le dessin de la « Moch­nataja sop­ka » fut dédic­acé par Hum­boldt à son ami et collègue Alex­an­dre Brongni­art (1770−1847), admin­is­trat­eur de la man­u­fac­ture de por­cel­aine de Sèvres de 1800 à 1847, géo­logue, minéra­lo­giste, zoolo­giste. Fils de l’architecte Alex­an­dre-Théodore Brongni­art, Alex­an­dre Brong­nairt fut pro­fes­seur de minéra­lo­gie au Muséum nation­al d’histoire naturelle à Par­is. À la suite de ses travaux dans le bassin par­is­i­en, Brongni­art fonde la paléon­to­lo­gie strati­graph­ique française : désor­mais les fossiles jouent un rôle de repère dans la chro­no­lo­gie rel­at­ive des ter­rains sédi­mentaires. Il pré­cise cette chro­no­lo­gie, et en par­ticuli­er la sub­di­vi­sion des ter­rains ter­ti­aires, dans un ouv­rage pub­lié en 1829 : Tableau des ter­rains qui com­posent l’écorce du globe. Essai sur la struc­ture de la partie con­nue de la Terre. Depuis son retour des Andes, Hum­boldt avait dévelop­pé des rela­tions priv­ilé­giées avec un ensemble de sav­ants français, dont Claude-Louis Ber­thol­let, Ant­oine-Laurent de Jussieu, Georges Cuvi­er, François Arago ou encore Louis-Joseph Gay-Lus­sac. Alex­an­dre Brongni­art faisait partie de ce cercle de sav­ants amis. Hum­boldt offre ce dessin à Brongni­art en 1829, l’année de la paru­tion des travaux de Brongni­art sur « l’écorce du globe », lui fais­ant part de ses pro­pres découvertes sur le terrain.

Hum­boldt dess­inait con­stam­ment, not­am­ment en voy­age dur­ant lesquels il tenait des car­nets. Il avait pour le dessin un don évident : on cit­era le superbe auto­por­trait con­ser­vé à Munich dans une col­lec­tion par­ticulière (vers 1814), reproduit dans B. Savoy et D. Blanken­stein (ed.), Les frères Hum­boldt, l’Europe de l’Esprit, Par­is, 2014, p. 22. La petite montagne « Moch­nataja » a retenu l’attention du sci­en­ti­fique, assez pour qu’il le reproduise égale­ment dans son car­net de voy­age en 1829 (pub­lié par Aranda et alia, 2014). On y voit le même dessin schémat­isé, suivi d’un com­mentaire en français : « […] les plus import­antes du monde enti­er pour prouver que le gran­ite est une roche d’éruption récente » (Aranda, 2014, pl. 68 : Seite aus A. von Hum­boldts Reise­journ­al mit Skizze der Moch­nataja sop­ka einem auffäl­li­gen Granithü­gel im Irtystal).

Ce dessin de la petite montagne « Moch­nataja » fut réal­isé vers le milieu du voy­age de Hum­boldt, lors de son pas­sage dans l’Altaï, point le plus à l’est de son périple. Le dessin ser­vit pour la réal­isa­tion d’une grav­ure parue dans l’ouvrage de Gust­av Rose (1837) : un tirage est con­ser­vé à Ber­lin (Sti­fung Stad­mu­seum) avec des annota­tions de la main de Hum­boldt. Lors de la recon­sti­t­u­tion du voy­age de Hum­boldt en Russie, dans l’Oural et dans l’Altaï par une équipe de sci­en­ti­fiques entre 1994 et 2009 (voir Aranda, 2014), une photo actuelle de cette montagne a été prise (Aranda, 2014, pl. 70). Hum­boldt semble avoir accordé une grande import­ance à cette « petite montagne », emblématique de ses théor­ies sur le vol­can­isme et le mag­nét­isme, s’inscrivant bien dans sa con­cep­tion « géo­poétique », exposée dans Cos­mos paru entre 1845 et 1858. La Russie, l’Oural et les montagnes de l’Altaï furent sa dernière expédition.

  1. Grav­ure à l’eau forte, épreuve avant l’état défin­i­tif (sans le fond et la légende). Por­trait d’Alexander von Hum­boldt, à l’âge de 35 ans environ.

    Dimen­sions de la grav­ure : 160 × 195 mm. Une men­tion au cray­on sous la grav­ure : « Gravé à l’eau forte par Des­noy­ers d’après un croquis de Ger­ard. Epreuve non terminéé ».

L’état défin­i­tif de cette grav­ure est datée de 1805 et légendée comme suit : « Alex­an­der von Hum­boldt. Nach einem Croquis von Ger­ard geäzt von Aug. Denoy­ers zu Par­is 1805 ». Il est pos­sible que le dessin de Gérard ayant inspiré Des­noy­ers, ait été réal­isé à Par­is en 1795 lors d’un des tout premi­ers séjours par­is­i­ens de Hum­boldt (H. Nelken, pp. 62 – 64). Le dessin de Gérard inspira à son tour Charles Vic­tor Nor­mand (né en 1814), graveur et dess­in­ateur, qui grava un por­trait de Hum­boldt de trois-quarts, légendé « F. Gérard pinxit 1795 » et « Appar­tient à H. Gérard » (neveu de François Gérard) (reproduit dans H. Nelken, Ber­lin, 1980, p. 63 ; grav­ure inclue dans Œuvre de Bar­on François Gérard. Troisième et dernière partie, Par­is, 1857). Rap­pelons que Hum­boldt a col­laboré avec François-Pas­cal Gérard, qui fournit des grav­ures pour illustrer cer­tains des ouv­rages du sav­ant : citons par exemple le frontis­pice « Human­itas. Lit­er­ae. Fruges », pub­lié dans Atlas géo­graph­ique et physique du nou­veau con­tin­ent, Par­is, 1814.

Autres états défin­i­tifs con­nus de la grav­ure : Ver­sailles, Inv. Grav. 8445 ou encore Lon­dres, Brit­ish Museum, 1981 U. 440 : Por­trait of Alex­an­der von Hum­boldt, half-length, slightly turned to the left. c. 1805. Etch­ing (dim. 296 × 229 mm.). Sous la grav­ure on lit : « Nach einem Croquis von Ger­ard geäzt von Aug. Denoy­ers zu Par­is 1805 » et « Wei­mar im Verl. des F. S. priv. Landes Indus­tries Comptoirs ». Autre témoin con­ser­vé à la Goethe-Museum, Düs­sel­dorf et reproduit par Nelken, Ber­lin, 1980, p. 64.

Cette épreuve est cer­taine­ment de toute rareté, essai avant la lettre pour lequel nous n’avons trouvé aucune référence. 

Sur ce dessin par Gérard et la grav­ure de Des­noy­ers, voir Halina Nelken, Alex­an­der von Hum­boldt. Bild­n­isse und Künst­ler. Eine dok­u­mentierte Ikono­graph­ie, Ber­lin, 1980, pp. 62 – 64. Sur Gérard, voir Lern­er, E. « François Gérard (1770−1837) ou l’opportunité d’une belle car­rière sous le règne de Napoléon Ier », in Napo­leon­ica. La Revue, 20081 (n° 1), pp. 109 – 119.

Sources: Ber­lin, Archiv Schloss Tegel. Hum­boldt (Alex­an­der von). Frag­mente des Sibirischen Reise-Journ­als, 1829 (manuscrit) (Aranda et al., 2014, repro­duc­tion pl. couleur 68, p. 572). – Grav­ure réal­isée d’après un dessin de Hum­boldt, pub­liée pour la première fois par Gust­av Rose, Reise nach dem Ural, dem Altai und dem Kapis­chen Meere auf Befehl Sr. Majestät des Kais­ers von Russ­land im Jahre 1829 aus­ge­führt von A. v. Hum­boldt, G. Ehren­berg und G. Rose, Ber­lin, 1837, bd. 1, p. 584. On con­serve un tirage de cette grav­ure à la Sti­fung Stad­mu­seum Ber­lin, Alex­an­der-von-Hum­boldt-Sammlung Wolfganf-Hagen Hein, avec la men­tion auto­graphe « Buchtarmin­scq » (nom de lieu) suivie de sa sig­na­ture « Hum­boldt » (Aranda et al., 2014, repro­duc­tion pl. couleur 69, p. 573).

Bib­li­o­graph­ie: Aranda, K., A. För­ster, C. Suck­ow (dir.). Alex­an­der von Hum­boldt und Russ­land. Eine Spuren­suche, Ber­lin, 2014. – Rose, Gust­av. Reise nach dem Ural, dem Altai und dem Kapis­chen Meere auf Befehl Sr. Majestät des Kais­ers von Russ­land im Jahre 1829 aus­ge­führt von A. v. Hum­boldt, G. Ehren­berg und G. Rose, 2 vol., Ber­lin , 1837 – 1842. – Hum­boldt, A. von. “Dis­cours” in Séance extraordin­aire tenue par l’Académie Impériale des sci­ences de St-Peters­bourg en l’honneur de M. le bar­on Alex­an­dre de Hum­boldt du 16 Novembre 1829, St-Peters­bourg, 1829 (in Knobloch, E., I. Schwarz et C. Suck­ow, Alex­an­der von Hum­boldt. Briefe aus Russ­land 1829, Ber­lin, 2009, pp. 266 – 285). – Hum­boldt, A. von. Asie cent­rale. Recherches sur les chaînes de montagnes et la cli­ma­to­lo­gie com­parée, Par­is, 1843. – Cabanel, Patrick. « Alex­an­dre Brongni­art », in Patrick Cabanel et André Encre­vé (dir.), Dic­tion­naire bio­graph­ique des prot­est­ants français de 1787 à nos jours, tome 1 : A-C, Par­is, 2015, pp. 484 – 485. – Préaud, Tamara et Oster­gard, Derek E. The Sèvres Por­cel­ain Man­u­fact­ory. Alex­an­dreBrongni­art and the Tri­umph of Art and Industry, 1800 – 1847, New Haven et Lon­dres, 1997. – But­timer, Anne, “Hum­boldt, Gräno and Geo-poet­ics of the Altaï”, in Fen­nia. Inter­na­tion­al Journ­al of Geo­graphy, vol. 188, no. 1 (2010), pp. 11 – 36. – Pour une réflex­ion sur les pratiques du voy­age, formes de l’écriture et con­struc­tion de la sci­ence, voir M.-N. Bourguet, Ecrit­ure du voy­age et con­struc­tion sav­ante du monde. Le car­net d’Italie d’Alexander von Hum­boldt, Max-Planck-Insti­tut für Wis­senschafts­geschichte, 2004 ; puis ibid, Le Monde dans un car­net. Alex­an­der von Hum­boldt in Italie (1805), 2017. – Sur Hum­boldt, on lira avec profit Wulf, Andrea. The Inven­tion of Nature. The Adven­tures of Alex­an­der von Hum­boldt. The Lost Hero of Sci­ence, Lon­don, 2015, et tout par­ticulière­ment le chapitre 16 : « Russia ».